Ianik vit dans un petit village à 50 km de Strasbourg.
Papa, musicien et libraire, il a trouvé dans la sérigraphie la même liberté créative que dans la musique. Nous l’avons interviewé pour lui demander comment est né son laboratoire de sérigraphie Les Presses Ambulatoires.
Bonjour Ianik, présentez-vous à nos lecteurs. Qui êtes-vous et que faites-vous ?
Alors, je m’appelle Ianik, je vis dans l’Est de la France, dans un petit village perdu dans une vallée Alsacienne, à une cinquantaine de kilomètres de Strasbourg. J’ai 36 ans et dans la vie je jongle entre 2 / 3 boulots.
Libraire de temps à autre, je bosse aussi en médiathèque parfois, et puis je fais un peu de sérigraphie à mon compte à la maison.
Quand est-ce que la sérigraphie est entrée dans votre vie ?
Début 2005 je crois. On a découvert ça avec des potes, avec qui j’organisais des concerts. On avait tous des groupes de musique « punk / hardcore / screamo » à droite à gauche, et quand on organisait des petits festivals, on a commencé à se chopper du matos de sérico et à tirer nos propres posters.
Avant on faisait des collages et des photocopies, j’ai même fait pendant un moment des posters à base de pochoirs, mais le cutter commençait à peser lourd.
La sérigraphie, c’était la solution parfaite. Rapide, efficace, totalement aléatoire aussi (jamais deux fois le même résultat et toute cette part de hasard des débuts). C’était totalement fait main, complètement à l’arrache même.
Nous n’avions aucune expérience, j’ai tout appris sur le tas, à travers des sites et des forums comme Serisuisse et Gigposters.
Il y’a 10 ans, il n’y avait pas encore toutes les infos, vidéos et sites de vente de matériels comme on en trouve à ce jour sur la toile. Je n’ai fait aucune école d’arts ou je sais pas quoi par contre. Que du bidouillage maison.
La sérico est devenu rapidement une passion, et ça colle exactement à l’idée que je me fais du DIY.
Et puis surtout, j’ai découvert énormément de bonnes choses avec l’un des tout premiers livres que je m’étais acheté à l’époque : « San Miguel s’affiche ». C’est le bouquin de San Miguel de l’Atelier Clandestin, un vrai déclic pour moi. En parallèle, je suivais aussi le taff de Romain Percolation et d’Oli TTDMRT avec leurs posters rock et tout le toutim. D’ailleurs, ils sont toujours très actifs … et y’a plein de nouveaux ateliers qui se montent depuis quelques années. C’est assez incroyable comme la sérigraphie est devenu facile d’accès et à la portée de tous.
Vous vous définissez comme un imprimeur non professionnel. Croyez-vous en l’autoproduction ?
Oui, définitivement. Dans la sérigraphie home-made, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre.
On maitrise beaucoup de choses (ou parfois, on pense les maitriser) mais au final, on se retrouve toujours avec des résultats incroyables, que ça soit raté ou pas, la production reste une chose merveilleuse et magique.
Et à mon sens, l’autoprod’ reste le meilleur moyen de contrôler des productions de A à Z, de n’avoir aucune limite en terme de créativité, d’envie, de jugement etc etc …
On fait ce qu’on veut, comme on veut, sans se prendre la tête. Ça a un coût, c’est sûr, tout faire soi-même avec peu de matériel, ça devient parfois très vite la galère, et un frein à nos envies.
Mais ça a le goût de la liberté artistique comme on ne le trouve nulle part ailleurs.
J’ai un groupe de musique, et du coup, quand on veut sortir quelque chose, surtout en petite série, ça reste le meilleur moyen de le faire.
Et puis le côté non-professionnel, c’est vraiment parce que je n’imprime que de petites série, que je bosse essentiellement avec un réseau de copain (beaucoup de musiciens) et que je ne passe pas la plupart de ma journée à l’atelier. J’ai parfois des demandes pour des séries de 500 tee shirts ou posters que je refuse sans réfléchir. Ou alors, faut vraiment que ça soit mon meilleur pote qui me demande un taff pareil. Je suis un peu fainéant parfois héhéhé .
Et faut avouer aussi que la sérigraphie, ça ne me rapporte pas beaucoup d’argent. Je n’en vivrai jamais, et de toute façon, ce n’est pas le but de l’atelier.
Nous avons lu que vous êtes aussi le chanteur d’un groupe de metal et que vous jouez de la basse.
Quel est le point commun entre la sérigraphie et la musique ?
C’est étroitement lié. J’ai eu plusieurs groupes, dans lesquels je me suis toujours occupé de faire des patchs, des tee-shirts, des posters, des pochettes de disques, des affiches de tournée etc etc. Tout ça, ça fait partie entière du monde underground du punk, du métal, et de la musique en général. Et ça ne connait aucune frontière. Le site Gigposters est une vraie mine d’or à ce propos. On y trouve du flyers super cheapos jusqu’au plus beaux posters réalisés pour des milliers de groupes.
Après, à mon échelle, je bosse beaucoup avec des groupes locaux. Pendant des dates avec mes groupes, j’ai vu des ateliers de sérigraphie aménagés dans des squats, dans des bars, dans des caves. Et tout ça roulait comme il faut.
J’ai déjà fait de la sérigraphie pour des groupes électro aussi. Toutes les scènes peuvent se retrouver dans ce process d’impression, de création, d’indépendance.
La musique et la sérigraphie, ça donne naissance à de beaux objets en tirage limité, faits main, avec amour et passion.
D’ailleurs, si je ne me trompe pas, vous êtes italiens ? Allez donc voir ce que font les gens de l’atelier Malleus !! Des visuels d’une grande classe, c’est incroyable le talent qu’ils ont. Et certaines de ces personnes jouent dans un groupe qui s’appelle UFOMAMMUT. Musique et sérigraphie, une fois encore.
Si vous deviez expliquer la sérigraphie à quelqu’un qui n’en a jamais entendu parler, que diriez-vous ?
Je lui parlerai simplement du principe du pochoir. Mais au lieu d’utiliser un cutter et du carton, on se sert d’une toile tendu sur un écran, d’un produit qui réagit à la lumière, puis de transparence et d’opacité.
Quand je fais des ateliers avec des ados (ça m’arrive de temps en temps) je leur explique la sérico comme ça. Puis je sors un écran, du papier calque avec un visuel imprimé dessus en noir, et la magie opère devant leurs yeux.
Tous les sérigraphes ont un secret. Pouvez-vous nous dévoiler une astuce technique que vous utilisez souvent lorsque vous imprimez ? Ou un « truc » que vous avez inventé pour résoudre un problème d’impression ?
J’ai pas vraiment de « secret » à partager ou de recette miracle. Mais j’ai peut être un tout petit truc à dévoiler quand même. Quand j’ai fini mes tirages, je fais parfois des tirages supplémentaires avec de vieilles encres que je mélange entre elles. Je n’utilise que des encres à eau, ça c’est une règle importante chez moi.
Ensuite, je les étale n’importe comment sur l’écran, pour charger l’encre dans la maille.
Parfois elles sont un peu sèches, du coup il y a des grumeaux dedans … et lorsque j’imprime, les grumeaux laissent des traces sur le papier. Et ces traces ressemblent beaucoup aux effets de « marbrure ». Pour certains visuels, ça peut être très efficace comme effet et comme impression, avec toutes ces traces de couleurs qui partent dans tous les sens. On a de supers textures qui ressortent.
À quoi pensez-vous lorsque vous faites de la sérigraphie et que faites-vous lorsque vous n’en faites pas ?Quand je fais de la sérigraphie, je ne pense à rien. C’est quelque chose que je fais très bien d’ailleurs … hahaha.
En revanche, j’écoute TOUT LE TEMPS de la musique à fort volume quand j’imprime.
Ça me vide la tête et j’imprime en rythme. Et quand je ne fais pas de sérigraphie, c’est que : soit je suis au boulot, soit je m’occupe de mes deux enfants (ils sont encore tout petits) et je fais des trucs avec eux et leur maman, soit je fais de la musique avec mon groupe.
Je fais aussi un peu de photo et de temps au temps j’ose m’aventurer dans la conception de visuels.
Technique de sérigraphie : quel est le minimum indispensable pour commencer ? Citez quelque chose de facile et quelque chose de difficile à exécuter pour un débutant.
J’ai débuté avec deux écrans de récup’ (en bois) et une racle de carreleur acheté en magasin de bricolage.
Pour l’insolation, j’avais 2 spots de chantier halogène 500w, et je flashais pendant 15 min à travers une vitre sur des tréteaux. Les films, je les réalise encore et toujours à la photocopieuse et au papier calque. Et pour les grands formats (A2) je colle des A3 ensemble, à l’ancienne.
Par contre, j’ai troqué mes spots de chantier contre une vraie table d’insolation avec vide d’air et 5 néons UV (récup’ encore une fois). Je flashe plus vite, et ça c’est cool.
Au début, le plus facile à faire, c’était de belles lignes, pas trop fines, et du texte pas trop petit. Ensuite, j’ai commencé à chercher comment imprimer des trames, pour avoir des fonds sur lesquels imprimés les visus … Et là, c’était déjà un peu plus difficile. Créer des trames sous photoshop, c’est à la portée de tout le monde, même si on ne s’y connait pas trop.
Les imprimer en sérigraphie, c’est autre chose.
Si on ajoute à ça le calage, les encres transparentes et la quadrichromie, avec ses angles à respecter suivants les couleurs, c’est bienvenue à « prise de tête » land !! Aaaaah, et puis ne parlons pas des dégradés de couleurs, appelés communément « split-fountain », toute une histoire.
Que trouve-t-on dans votre laboratoire ?
Aïe, question piège ?! Bon, je vais être franc : énormément de pagaille. Je suis un bordélique né. Mais je l’admets facilement pour une seule raison : je ne peux pas travailler dans un endroit où tout est en ordre. C’est impossible pour moi. J’ai besoin d’un minimum de « bordel » dans mon atelier pour que mon cerveau fonctionne et que je me mette à travailler.
Et à côté de ça, entre les pots d’encre, les écrans et les racles, vous trouverez une platine et un gros milliers de cd rangé n’importe comment, qui sert de bande originale à ma vie.
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